Camp spécial SS du fort de Queuleu

D’octobre 1943 à août 1944, la caserne II / casemate A du fort de Queuleu abrita un camp spécial de la Gestapo pour les résistants, les saboteurs, les complices de fugitifs, les déserteurs et les otages du régime nazi. Au total, entre 1.500 et 1.800 prisonniers furent détenus. De décembre 1944 à mars 1946, le site a servi de centre de surveillance pour les collaborateurs. Jusqu’à 4.400 personnes y furent internées. Par la suite, la forteresse servit de camp pour les prisonniers de guerre allemands. De 1948 à 1950, elle servit de camp de rapatriement pour les Vietnamiens déportés de la colonie d’Indochine (aujourd’hui : Laos, Cambodge, Vietnam) vers la France au début de la Seconde Guerre mondiale.

 

Contact

Rue du Fort-de-Queuleu
Allée Jean-Burger
57070 Metz

Téléphone : +33 | 0 | 695 | 67 42 80
E-Mail : fort.metz.queuleu@gmail.com

Page web : https://www.fort-queuleu.com/

Heures d’ouverte :
Dimanche après-midi de 14 h à 17 h / 18 h (selon la saison)
Fermeture annuelle de fin décembre à début janvier

L’ entrée gratuite. Les dons volontaires, qui assure la pérennité du mémorial, sont les bienvenus.

Inscription : https://www.fort-queuleu.com/visites/

 

Depuis 1971, l’Association du Fort de Metz-Queuleu pour la mémoire des internés-déportés et la sauvegarde du site entretient et préserve le mémorial du Fort de Queuleu, en mémoire des internés et déportés. Le 20 novembre 1977, le mémorial aux résistants et aux déportés, conçu par l’architecte Roger Zonca, fut inauguré à l’entrée du mémorial. La sculpture en forme de flamme comporte à l’intérieur les restes d’un déporté inconnu.

Le fort de Queuleu fait partie de l’enceinte intérieure des remparts de Metz. Construit par la France entre 1867 et 1868, il fut achevé après 1871, appartenant dès lors à l’Empire allemand. Avec la construction de la deuxième enceinte de fortification autour de la ville de Metz après 1899, le fort perdit son importance militaire. Pendant la Première Guerre mondiale, le fort servit probablement de camp de prisonniers de guerre pour les soldats français. Au début de la Seconde Guerre mondiale, c’était une caserne pour les soldats de la ligne Maginot. Après l’annexion de la Lorraine par le Reich allemand, le fort servit d’abord de camp principal pour les prisonniers de guerre, puis, à partir de mars 1943, de kommando annexe pour le camp de concentration de Natzweiler-Struthof. La centaine de prisonniers, principalement des prisonniers allemands et polonais, furent utilisés pour la construction de la base aérienne de Metz-Frescaty.

Du 12 octobre 1943 à août 1944, la caserne II abrita un camp spécial SS. Les détenus furent conduits de la prison de police de Metz jusqu’au bâtiment de l’ancien séminaire. La majorité des prisonniers étaient des opposants à la germanisation du département de la Moselle. Il s’agissait notamment de communistes, de syndicalistes et de pacifistes. Pour parvenir à ses fins, la Gestapo put s’appuyer sur les ‹ listes noires › de l’industrie minière et sidérurgique. Celles-ci contenaient les noms de communistes et syndicalistes, ainsi que les noms de ceux qui avaient aidé des opposants directs au régime à s’enfuir vers la France après la réintégration dans l’Allemagne nazie de la Sarre, qui avait été libre jusqu’en 1935.

 

Les témoins contemporains

Extrait du chapitre La Bénédiction, Aurélie Filippetti : Les Derniers Jours de la classe ouvrière. (Das Ende der Arbeiterklasse. Ein Familienroman.) Francfort 2003, p. 20 – 28 :
Que venait faire ici, au fond, la Gestapo ? (…) Ils descendirent au fond de la mine d’Audun-le-Tiche, au matin du 3 février 1944. (…) À chaque étape, aucun témoin, personne ne pouvant se douter de quoi que ce soit puisque les deux hommes en civil restaient à l’écart, pendant que le directeur allait en personne chercher les suspects. (…) On leur ordonna de placer leurs mains sur les épaules de celui qui les précédait, on leur arracha leurs casques, et la petite colonie furtivement se fondit dans la nuit du fond. (…) Ils descendirent au fond de la mine, avec la bénédiction de ceux qui la dirigeaient. (…) L’histoire retiendra : les de Wendel faisant tourner leurs hauts fourneaux à plein régime pour les canons du Reich, les patrons de la Société des Mines Terres-rouges complices des arrestations. Descendus au fond de la mine avec la bénédiction des patrons.

Ils ramenèrent de cette pêche souterraine des proies humaines, chaudes et vivantes. Quatorze mineurs pris sur leur lieu de travail, au fond de la mine noire, et à qui ne fut pas même permis de se laver le visage. Noirs ils demeurèrent jusqu’à leur arrivée dans les cellules de la gendarmerie, où ils furent enfermés.

Dans les années trente, ceux-là qui déjà fuyaient Mussolini avaient mis sur pied une section locale de la Société des droits de l’homme. Pendant toute la guerre, ils distribuaient des tracts, faisaient passer des informations de part et d’autre de la frontière. (…) À présent ils étaient là, sales, recouverts de la poussière brune qui leur collait les paupières, la poussière du fer. Les mains liées par des cordes, les yeux bandés, la peau ruisselante de sueur et de crasse. (…) Ils croisaient les prisonniers russes réduits en esclavage. Enchaînés aux galeries souterraines. Lorsque l’un d’eux tombait d’épuisement, il était facile aux SS de l’emmener à quelques kilomètres de là, dans ce petit camp de concentration situé en territoire français, où le four crématoire marchait comme ailleurs. Thil. (…) Menottes aux mains sales, on les force à pénétrer dans la gendarmerie par la fenêtre de l’arrière-cour, afin qu’il n’y ait pas d’émeute. Les quatorze mineurs, noirs encore, resteront là plusieurs jours, avant leur transfert pour le fort de Queuleu, près de Metz. (…) Pour le transfert, on leur bande de nouveau les yeux, on leur lie les mains, et, à leur arrivée, on les déshabille. Nus, ils doivent de nouveau placer leurs mains sur les épaules du voisin, et se mettre en marche. On les oriente vers les escaliers afin que le premier qui s’y engage s’écroule et que les autres roulent sur lui au bas des marches. Les soldats allemands rient. En bas ils lâchent des chiens sur les hommes et rient encore. (…) Son mari n’est pas mort, il est disparu. De Metz, parti pour le camp de Dora, en Allemagne, avec ses deux frères, toujours. L’un, Filippo, revint, n’en parla pas. L’autre resta à jamais avec lui en Allemagne. Disparu. Lui mourut à Bergen-Belsen —savait-il où était son frère — en mai 1945, après la libération du camp par les Anglais. Mort du typhus, mais d’abord torturé : crucifié — combien de jours —, et enfin enterré par un camarade qui écrivit plus tard à sa femme, pour lui dire où.

Un autre des quatorze mineurs d’Audun-le-Tiche fut transféré à Brême au moment où les nazis, sentant venir la fin, laissaient parfois à dieu ou à la providence le soin d’achever leurs crimes. Avant de disparaître, ils organisèrent l’ordalie finale, poussèrent sur un bateau fantôme sans vivres ni équipage une centaine de prisonniers, largués en mer Baltique. Pendant plusieurs semaines, le navire dériva. Au milieu des cadavres en putréfaction que découvrit la marine suédoise, trente-six rescapés dont le mineur Di Lucia. Ombre revenue d’outre-tombe comme pour mieux témoigner, il refusa pourtant lui aussi de parler, rentra chez lui et mourut très vite, assassiné par le souvenir.
[La Bénédiction, Aurélie Filippetti : Das Ende der Arbeiterklasse. Ein Familienroman (Les Derniers Jours de la classe ouvrière). Francfort 2003, p. 20 – 28]

 

Près de 20 pour cent des 1.500 à 1.800 prisonniers du fort Queuleu étaient des femmes. Comme les hommes, elles passèrent par le camp avant d’être emmenées dans les camps de concentration de Natzweiler-Struthof ou de Dachau, au camp d’éducation de Schirmeck ou dans des prisons, après des jours d’interrogatoire brutal.

Les détenus étaient confinés dans dix cellules collectives surpeuplées et ne pouvaient pas se laver. Il était interdit de parler ou de bouger. Les prisonniers avaient les yeux bandés. Pendant leur détention, ils avaient pieds et mains attachés.

En outre, il y avait 18 cellules individuelles dans lesquelles les principaux résistants du département de la Moselle étaient maintenus à l’isolement. Parmi eux, le médecin Leo Burger et son frère Jean, le chef du Groupe Mario qui organisa la résistance communiste en Moselle.

À cela s’ajoutaient les conditions de détention violentes, sous le commandement de l’administrateur du camp, Georg Hempen. Il exhortait les gardiens à faire preuve de dureté et à torturer les détenus, hommes et femmes. Hempen participa lui-même aux tortures et fouetta les prisonniers. Il s’enfuit à la fermeture du camp en août 1944.

Les prisonniers durent participer à diverses activités au camp. Ils durent convertir une cellule commune en cellules individuelles. En hiver, ils eurent à décharger plus de 10.000 briques gelées d’un camion et à les poser par des températures glaciales. En outre, les détenus étaient déployés de sept heures du matin à une heure du matin dans l’atelier du camp, où ils devaient faire des travaux de serrurerie, de menuiserie et d’électricité. Les rations étaient insuffisantes et se composaient en grande partie de soupe de navets.

Le camp annexe au camp de concentration de Natzweiler-Struthof était situé à l’extérieur de Metz, sur la base aérienne de Frescaty et dans les postes des SS. Trente-six personnes sont décédées pendant leur emprisonnement. Quatre prisonniers parvinrent à s’évader le 19 avril 1944.

 

Chronique


1940

Fort Queuleu commença à servir de camp de prisonniers de guerre.

1943

Mars : kommando annexe du camp de concentration de Natzweiler-Struthof. Des prisonniers allemands et polonais furent contraints de travailler à la base aérienne de Metz-Frescaty.

12 octobre : camp spécial SS dans la caserne II/casemate A pour les résistants, saboteurs, déserteurs, otages, prisonniers russes. Ils étaient enfermés ici pour être interrogés avant d’être déportés dans les camps de concentration de Natzweiler-Struthof, Dachau, Mauthausen, le camp d’éducation de Schirmeck ou des prisons. Les prisonniers étaient logés dans dix cellules collectives. 18 cellules individuelles étaient disponibles pour l’isolement des résistants.

1944

19 avril : évasion de quatre prisonniers du camp spécial SS.

Août : fermeture du camp.

Décembre : centre de surveillance des collaborateurs.

1946

Mars : fermeture du centre de surveillance.

1er juin : mise en service du camp de prisonniers de guerre 211 pour 145 soldats allemands.

1947

Fermeture du camp de prisonniers de guerre.

1948 – 1950

Camp de rapatriement des travailleurs forcés recrutés par la France en Indochine au début de la Seconde Guerre mondiale.

1971

Création de l’Association du fort de Metz-Queuleu pour la mémoire des internés-déportés et la sauvegarde du site, qui devient responsable de la préservation des lieux.

1977

20 novembre : inauguration du mémorial pour les résistants et les déportés à l’entrée du site.