Le château de Sarrebruck reflète l’histoire de la Sarre : d’abord forteresse au Moyen-Âge, puis château à la Renaissance, siège des princes de Nassau-Sarrebruck au XVIIIe siècle, et au XXe siècle, siège administratif de la ville, de la commission gouvernementale de la Société des Nations et, à partir d’avril 1935, siège de la Gestapo. Après 1945, le château, qui avait été endommagé pendant la guerre, redevint le siège administratif. De 1982 à 1989, il fut rénové selon les plans de l’architecte Gottfried Böhm. Aujourd’hui, le château abrite la Regionalverband Saarbrücken (Association régionale de Sarrebruck). Dans l’annexe se trouve le Musée historique de la Sarre avec une exposition permanente sur la Sarre pendant la période nazie. Devant le château se trouve la Place du Mémorial Invisible.
Contact
Château de Sarrebruck / Musée historique de la Sarre
Schlossstraße 1 – 15
66119 Sarrebruck
Allemagne
Téléphone : +49 | 0 | 681 | 5 06 16 16
E-Mail : info@saarbruecker-schloss.de
Page web : www.saarbruecker-schloss.de
La Place du Mémorial Invisible
L’artiste Jochen Gerz, professeur invité à la Hochschule der Bildenden Künste Saar, fondée en 1989, œuvra avec ses étudiants de 1990 à 1993 au remplacement de pavés subtilisés pendant la nuit par des pierres de substitution. À cette occasion, les noms de tous les cimetières juifs qui existaient en Allemagne avant 1933 furent gravés sur la face inférieure des pierres. La liste fut établie en consultation avec les communautés juives de la République fédérale d’Allemagne. Chaque pierre indique donc également la date à laquelle les lettres de réponse des communautés arrivèrent à Sarrebruck. 2.145 cimetières furent identifiés. Le mémorial compte le même nombre de pierres. La confidentialité qui régna initialement autour de l’œuvre était un élément essentiel du projet, qui s’inscrivait dans la démarche artistique de Jochen Gerz. Celle-ci se caractérise par une méfiance à l’égard des formes traditionnelles de la culture de la mémoire (monument, mémorial, panneau d’information), et pas uniquement à Sarrebruck.
L’idée sous-jacente est que la visibilité et l’emplacement bien en vue d’un mémorial en souvenir des crimes du national-socialisme ou d’un monument dédié à la mémoire des victimes ne garantissent pas forcément sa perception et sa compréhension.
C’est pourquoi Jochen Gerz préféra créer la Place du Mémorial-Invisible, également baptisée 2.145 Steine — Mahnmal gegen Rassismus (2.145 stèles : mémorial contre le racisme). Au lieu de charger un monument visible du devoir de mémoire, le mémorial invisible exige une réflexion sur le lieu et les événements historiques qui y sont associés. Gerz s’intéresse ici au processus de mémoire, et non à l’impératif du souvenir en pierre ou en acier, qui n’assume au fond qu’une fonction purement représentative.
Peu à peu, le projet alla bien au-delà d’un sujet de recherche étudiant ; Gerz et les étudiants rendirent alors leur travail public.
Quatre panneaux d’information dans l’escalier menant à la salle de banquet du château font référence à l’histoire de la création du mémorial. Une carte d’Allemagne montre les 2145 cimetières juifs.
Les témoins contemporains
Emil Limbach
Le témoin contemporain Emil Limbach se souvient:
Il y avait par exemple un cuisinier français au camp de travail forcé. Je le croisai un jour alors qu’il faisait des courses en ville et je lui dis que cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vu. Il me répondit : « Je ne peux pas t’en parler. » Mais il me raconta quand même. Il avait été à la Neue Bremm, puis de là jusqu’à la cellule de la Gestapo du château, où il avait été interrogé. Ils l’avaient chargé d’une boîte sur le dos, une caisse lourde, qu’il avait dû porter sur quelques étages. En haut, il avait dû la poser, puis la descendre.
[Citation de : Raja Bernard / Dietmar Renger : Die Neue Bremm. Ein KZ in Saarbrücken (La Neue Bremm, un camp de concentration à Sarrebruck), 1999, p. 29]
Alois Hess
Le témoin contemporain Alois Hess fut emprisonné pendant six semaines à Sarrebruck. Par la suite, il fut transféré de la prison de Zweibrücken au camp de concentration de Sachsenhausen:
La place du château marqua le début de toutes les persécutions. La cellule était toujours en lien avec le Lerchesflur, qui descendait jusqu’à la Schlossplatz. J’ai dû séjourner trois fois dans cette cellule. Mais la plupart du temps, j’étais en bas. On avait pris mes empreintes, des photos, et à chaque fois, cela durait toujours toute la journée quand on devait descendre. Mais la cellule était tout sauf un lieu de repos en attendant de passer dans le Lerchesflur ; cela s’apparentait plutôt à un lieu de torture psychique, car on était constamment sous surveillance.
[Citation de : Raja Bernard / Dietmar Renger : Die Neue Bremm. Ein KZ in Saarbrücken (La Neue Bremm, un camp de concentration à Sarrebruck), 1999, p. 88]
Fritz Holderbaum
Le témoin contemporain Fritz Holderbaum s’engagea en faveur du maintien du statu quo en Sarre. Il dut donc fuir en France après le vote du 13 janvier 1935. Il rejoignit ensuite les Brigades internationales pendant la guerre civile espagnole. Après la victoire des troupes franquistes, il s’enfuit de nouveau en France et fut emprisonné dans le camp du Vernet. De là, il fut déporté à Sarrebruck en 1941, à la prison du Lerchesflur, et emmené à la Schlossplatz pour y être interrogé:
Un matin, on me dit de me préparer pour mon interrogatoire. Je fus descendu à la Schlossplatz, bien sûr sous surveillance, et conduit là-dedans. Ensuite, je fus mené à la cave, mais je n’ai vu nulle trace de la cellule telle qu’on l’a découverte aujourd’hui ; je n’y suis jamais allé. On m’enferma dans une armoire en métal, qui n’était rien d’autre qu’un petit siège d’environ 15 cm ; on pouvait s’asseoir droit, mais il était impossible de bouger autrement.
[Citation de : Raja Bernard / Dietmar Renger : Die Neue Bremm. Ein KZ in Saarbrücken (La Neue Bremm, un camp de concentration à Sarrebruck), 1999, p. 89]
Dans le camp de la Neue Bremm de la Gestapo, il y avait une cantine qui était baptisée « Messe der Angestellten » (mess des employés) [Citation de : Elisabeth Thalhofer : Neue Bremm. Terrorstätte der Gestapo. Ein Erweitertes Polizeigefängnis und seine Täter (Neue Bremm, lieu de terreur de la Gestapo. Une extension de la prison de police et ses criminels), St. Ingbert, 2002, p. 124]. La cantine nourrissait les surveillants et les employés de la Gestapo, tandis que les prisonniers du camp de la Neue Bremm mouraient de faim.
Château, Schlossplatz 14 : siège de la coopérative de construction Heimstätten du bureau d’aide sociale du district de Sarrebruck
Château, Schlossplatz 15 : siège du secrétariat général de la commission gouvernementale de la Société des Nations
Schlossplatz 14/15 : le 1er avril, la Gestapo de Sarrebruck prit ses quartiers dans l’aile gauche du château et y installa son siège pour la région de la Sarre. Le sous-sol du bâtiment servait de prison. La Gestapo de Sarrebruck était dirigée par Anton Dunckern. Il était également responsable des postes annexes d’Ottweiler, Merzig, Saint-Wendel, Saint-Ingbert, Neunkirchen, Homburg et Saarlouis.
Le château de Sarrebruck abritait d’autres organes du régime nazi. La direction de district du NSDAP fut installée dans la partie arrière du bâtiment, Schlossplatz 6/7, et la direction du gau avait son siège dans le château. La Kreisständehaus voisine abritait un appartement pour le gauleiter de Sarre-Palatinat, Josef Bürckel, avant que la maison ne soit rénovée en 1941 pour servir de bâtiment représentatif à la direction du gau.
Dans le quartier du Vieux-Sarrebruck, la prison municipale était située dans le Lerchesflurweg. C’était un lieu de détention pour les travailleurs forcés et les personnes que l’idéologie nazie considérait comme ‹ anti-sociales ›. Dans le quartier de St. Arnual, Saargemünder Straße 95, un site de détention et de torture fut également aménagé dans les casernes d’artillerie. Ce fut également le cas à la prison de police de l’Alexanderstrasse.
La Schlossplatz n’était pas seulement le centre de la terreur nazie, avec le bureau de la Gestapo dans l’aile nord du château, la police dans l’Erbprinzenpalais et le service des enquêtes criminelles dans l’ancienne mairie ; elle servait aussi de point de rassemblement pour les Juifs de Sarrebruck et de Sarre avant leur déportation vers Gurs. Le 22 octobre 1940 eut lieu l’Aktion Bürckel, la première grande déportation de Juifs de l’ancien Reich allemand avec des Juifs de Baden et du Palatinat vers le camp d’internement de Gurs, dans les Pyrénées. 145 Juifs (ce nombre est probablement inexact) des communautés et des villes du pays furent déportés à Gurs. Un mur commémoratif où sont inscrits 1.100 noms de victimes de l’Holocauste liées à la Sarre fait partie de l’exposition permanente Zehn statt Tausend Jahre.
Quartier du Vieux-Sarrebruck, Metzer Straße (à l’époque Josef-Bürckel-Straße) : juillet 1943, construction du camp de police de la Neue Bremm pour hommes, puis pour femmes (le Sonderbarackenlager II). Il servait de camp de collecte et de rassemblement pour les prisonniers français qui étaient déportés à Dachau, Mauthausen et Ravensbrück. La Neue Bremm était un camp d’éducation pour les travailleurs forcés et les ‹ ouvriers de l’Est › employés dans l’industrie sarroise. Le site de la Gestapo et le camp de la Neue Bremm formaient une unité de terreur :
« La coopération entre l’extension de la prison de police de la Neue Bremm et le bureau de la Gestapo au château de Sarrebruck fut également très efficace sur d’autres points. Par exemple, les responsables de la Gestapo utilisaient régulièrement le camp pour interroger les prisonniers. Un trafic animé entre la Neue Bremm et la Schlossplatz se développa très rapidement. »
[Citation de : Elisabeth Thalhofer : Neue Bremm. Terrorstätte der Gestapo. Ein Erweitertes Polizeigefängnis und seine Täter (Neue Bremm, lieu de terreur de la Gestapo. Une extension de la prison de police et ses criminels), St. Ingbert, 2002, p. 124]
En raison du nombre croissant de personnes arrêtées et interrogées (rien que jusqu’en 1936, près de 5.000 personnes passèrent entre les griffes de la Gestapo sur la Schlossplatz), il fut décidé d’installer des cellules et des compartiments pour prisonniers dans la cave même du château selon les méthodes utilisées dans les casernes d’artillerie et dans la prison Alexander, où ils devaient souvent attendre des heures ou des jours pour leurs interrogatoires. La cellule de 2,50 x 3,50 mètres est encore conservée aujourd’hui. Elle fut découverte lors de la restauration du château de Sarrebruck en 1975. On trouva sur les murs des inscriptions gravées par les travailleurs forcés d’Europe de l’Est et les prisonniers politiques de la prison de Lerchesflur et du camp de la Gestapo de la Neue Bremm qui y séjournèrent avant d’être interrogés par la Gestapo. Ces inscriptions sont retranscrites et traduites dans le catalogue « Zehn statt tausend Jahre. Die Zeit des Nationalsozialismus an der Saar. 1935 – 1945 » (Dix ans au lieu de mille, l’époque du national-socialisme en Sarre), disponible au Musée historique de la Sarre. En plus de la cellule, des cages en fer et des caisses en tôle, tout juste assez grandes pour contenir une personne, avaient été installées dans les pièces du sous-sol.
Schlossplatz 14/15 : en décembre, l’aile nord du château fut endommagée lors d’un bombardement. En conséquence, le site de la Gestapo de Sarrebruck fut transféré à Heiligenwald, Deutsche-Front-Straße 37. Entre 1943 et 1944, la Gestapo de Sarrebruck arrêta en moyenne six personnes par jour. Le séjour durait entre quelques heures et jusqu’à trois mois. Environ 120 noms de détenus se trouvent sur les murs et la porte de la cellule de détention conservée dans la cave. La cause la plus fréquente d’emprisonnement était ce que les nazis qualifiaient de « fuite ».
Schlossplatz 15 : inauguration du Musée historique de la Sarre avec l’exposition permanente Zehn statt Tausend Jahre. Nationalsozialismus an der Saar 1935 bis 1945 (Dix ans au lieu de mille, le national-socialisme en Sarre de 1935 à 1945). L’un des éléments de l’exposition est l’une des cinq anciennes cellules de détention de la cave du château, siège de la Gestapo à partir d’avril 1935.
Inauguration de La Place du Mémorial-Invisible, Schlossplatz, Sarrebruck le 23 mai 1993, conçue par Jochen Gerz et les étudiants de la Hochschule der Bildenden Künste Saar.