Ancien camp de rééducation par le travail d’Etzenhofen

Le travail forcé et la production industrielle n’eurent pas lieu qu’en Sarre. L’ancienne usine sidérurgique de Röchling à Völklingen exploitait environ 12.000 travailleurs forcés, principalement venus d’Europe de l’Est. Ceux qui résistaient finissaient au ‹ camp de rééducation par le travail › de l’usine à Püttlingen-Etzenhofen, qui exista d’avril 1943 à décembre 1944. En ce lieu régnaient l’arbitraire, la terreur et la mort. Les traces du camp furent effacées après 1945. Actuellement, une exposition permanente sur le site du patrimoine culturel mondial de la Völklinger Hütte documente le travail forcé sous Röchling pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

Contact

Patrimoine culturel mondial de la Völklinger Hütte
Rathausstraße 75 — 79
66333 Völklingen
Allemagne

Téléphone: +49 | 0 | 6898 | 9 10 01 00
E-Mail: mail@voelklinger-huette.org

Page Web: www.voelklinger-huette.org

 

Contexte historique : le travail forcé en Sarre

12.000 travailleurs forcés, prisonniers de guerre et civils déportés de Russie, d’Italie et de France furent déployés à la Völklinger Hütte et dans ses entreprises affiliées.
250 personnes décédées dans des conditions de travail inhumaines furent enterrées au Völklinger Waldfriedhof. À ce sujet, voir l’exposition permanente sur le travail forcé sous Röchling sur le site du Patrimoine culturel mondial de la Völklinger Hütte.

Hermann Röchling, directeur de l’usine sidérurgique de Völklingen, superviseur plénipotentiaire de la sidérurgie, cofondateur et président du Reichsvereinigung Eisen, fut traduit en justice à Rastatt en 1948 pour enlèvement et asservissement de citoyens des pays occupés et prisonniers de guerre afin de les faire travailler et pour tolérance de leurs mauvais traitements ; il fut condamné à dix ans de prison, mais bénéficia d’une libération anticipée dès 1951. L’exposition Internet  Les Röchling et la Völklinger Hütte fournit des informations sur le travail forcé à l’usine sidérurgique de Völklingen.

 

Les témoins contemporains

Ferdinand Michalkiewicz
Le procès de Röchling, en 1948 – 1949, d’après les documents de l’accusation : déclaration du travailleur forcé polonais Ferdinand Michalkiewicz (SEF 1039)
Dans le camp d’Etzenhofen, les choses étaient organisées de la façon suivante : nous étions dix-huit dans un baraquement en bois. Le matin, le réveil était toujours soumis aux caprices des gardes. Nous recevions chacun deux tranches de pain de munition et une tasse de substitut de café, à midi une soupe très claire sans légumes, et le soir une soupe au chou sans gras. Nous dormions dans des lits superposés dont les sommiers étaient garnis de paille. Il n’y avait pas de vermine, car nous devions être infectés (!) et lavés deux fois par semaine. Parfois, nous devions nous lever à une heure du matin pour aller travailler à Völklingen à 7 heures. Là-bas, nous devions charger des camions-benne de coke (combustible à base de charbon) ; les femmes faisaient la même chose. Nous travaillions environ 10 heures par jour et le tout (!) sans repos le dimanche. Les horaires quotidiens étaient les suivants : de 7 h à 12 h et de 13 h à 18 h. Pendant notre séjour dans le camp, nous ne touchions pas de salaire. (…) J’avais un furoncle sur la jambe. Un grand patron de l’usine l’a ouvert en me poussant afin de me faire mal. Quand les gardes nous demandaient de courir dans la cour parfois pendant une heure, par exemple à 1 ou 2 heures du matin, il leur arrivait de nous faire marcher à quatre pattes, nous jeter à plat ventre, marcher accroupis ; quand nous étions dans cette position, les gardes nous frappaient sur tout le corps. Nous devions faire cette ‹ gymnastique › tout le temps, même dans la boue et surtout quand les gardiens estimaient que nous n’avions pas assez souffert pendant la journée. Quand c’était le cas, nous devions faire des exercices le soir après notre retour au camp. (…) De plus, il était interdit de marcher dans le camp, il fallait tout le temps courir. Il y avait des chiens dans le camp, qui sautaient sur des détenus et les tuaient. À cause de cette menace, nombreux étaient ceux qui n’osaient pas aller aux toilettes. »
[Citation de : Inge Plettenberg / Hans-Henning Krämer : Feind schafft mit… Ausländische Arbeitskräfte im Saarland während des Zweiten Weltkriegs (L’Ennemi nous aide à produire … Les travailleurs étrangers en Sarre pendant la Seconde Guerre mondiale). 1992]

Henri Baltharzad
Henri Baltharzad, 24 ans, maître de chai à Chaudenny-sur-Moselle, témoin au procès de Röchling, 11 mars 1948 :
Je continuai à travailler pendant ma détention, mais dans une autre usine : on m’avait à présent assigné au chargement de coke. Il était de règle que les prisonniers du camp, sans exception, soient appelés à accomplir un travail particulièrement dur et fatigant. Il n’y avait pas de dérogation. Les femmes, même enceintes, travaillaient aussi dur que nous.
Nous portions des vêtements spéciaux pour les prisonniers : pantalon rayé blanc, veste et casquette. Cela permettait aux détenus d’Etzenhofen d’être vus partout dans l’usine, même la nuit, car les rayures blanches sur le pantalon étaient faites en peinture phosphorescente. Nos crânes étaient rasés à blanc. Je fus battu plusieurs fois dans le camp d’Etzenhofen : 30 coups de cravache deux fois dans la même soirée ; je fus aussi mordu par un chien, un spitz-loup. Je voyais des femmes russes couchées par terre ; elles avaient été frappées par des Allemands.
[Citation de : Inge Plettenberg / Hans-Henning Krämer : Feind schafft mit… Ausländische Arbeitskräfte im Saarland während des Zweiten Weltkriegs (L’Ennemi nous aide à produire … Les travailleurs étrangers en Sarre pendant la Seconde Guerre mondiale). 1992]

 

Les camps de rééducation par le travail

On comptait environ 200 camps de rééducation par le travail dans le Reich allemand [Citation de : Wolfgang Benz / Barbara Distel (éd.) : Der Ort des Terrors (Le lieu de la terreur). Volume 9, 2009]. Parallèlement aux camps de concentration, ils formaient un « univers à part dans l’appareil de persécution national-socialiste, où les conditions d’emprisonnement et de survie ne différaient que légèrement de celles des camps de concentration » [Citation de : Gabriele Lofti, Stätten des Terrors (Les Sites de la terreur). In : Gerhard Paul / Klaus-Michael Mallmann (éd.) : Die Gestapo im Zweiten Weltkrieg (La Gestapo pendant la Seconde Guerre mondiale). 2000, p. 255 – 269]

Les camps de rééducation par le travail furent mis en place pour punir ce que l’on appelait le ‹ manque de zèle au travail ›, le ‹ sabotage au travail › ou l’‹ abandon du travail › lorsque les grands projets de construction (ligne Siegfried, construction autoroutière) de l’Organisation Todt (OT) étaient soumis à des délais pressants au début de la Seconde Guerre mondiale. Il en résulta un « système de sanctions spéciales » [Citation de : Klaus-Michael Mallmann, Gerhard Paul (éd.) : Widerstand und Verweigerung im Saarland 1935 – 1945. Band 2: Herrschaft und Alltag. Ein Industrierevier im Dritten Reich (Résistance et refus en Sarre 1935 – 1945, vol. 2 : Domination et vie quotidienne, un site industriel sous le Troisième Reich)], où le jugement et l’emprisonnement des personnes concernées ne leur permettait pas d’échapper au processus de travail : « C’est ainsi que naquit l’idée de base de ce qui allait devenir par la suite les camps de rééducation par le travail : une détention éducative temporaire à caractère dissuasif sur la base d’un décret de police, pas de détour par les instances judiciaires, exécution si possible à la propre discrétion de l’entreprise. »

L’ancien camp du Reichsautobahn (autoroute du Reich) devint en octobre 1939 un ‹ camp de détention modèle pour la police ›. Sur cette base, le personnel de sécurité SS de l’Organisation Todt et la Gestapo de Trêves fondèrent le camp spécial SS de Hinzert.
En outre, il y eut cinq autres camps de détention de la police sous le commandement de Hinzert. Les cellules régionales de la police d’État ainsi que les postes de sécurité occupés par des agents de la Gestapo à la direction des organes supérieurs de l’organisation Todt statuaient sur les incarcérations. De 1939 à 1940, un camp annexe fut installé à Homburg-Erbach pour les détenus en rééducation des organes supérieurs de Homburg, Pirmasens et Sarrebruck. On y emprisonna aussi des communistes et des sociaux-démocrates sarrois en vertu de ‹ l’action contre les principaux ennemis du Reich ›.

En 1944, le camp de la Neue Bremm de la Gestapo servit également de camp de travail pour les travailleurs forcés de l’Union soviétique employés dans des entreprises sarroises.

Entre 1940 et 1944, la Sarre comptait 370 camps de travailleurs forcés et de prisonniers de guerre. [Citation de : Hans-Henning Krämer / Inge Plettenberg : Feind schafft mit … Ausländische Arbeitskräfte im Saarland während des Zweiten Weltkriegs (L’Ennemi nous aide à produire… Les travailleurs étrangers en Sarre pendant la Seconde Guerre mondiale). 1992.]

 

Chronique


1941

28 mai : décret du Reichsführer SS Heinrich Himmler sur la création de ‹ camps de rééducation par le travail ›. La durée maximale de détention était de 56 jours, le temps de travail journalier étant de 10 à 12 heures.

1942

15 décembre : décret du Reichsführer SS Heinrich Himmler sur la création de ‹ services éducatifs › pour les travailleurs étrangers dans les grandes entreprises. L’entreprise était responsable de l’hébergement et de la répartition du travail en coordination avec le poste de police régional de l’État. La ‹ détention éducative par le travail › fut transférée aux entreprises, ce qui leur conférait un pouvoir illimité sur les travailleurs forcés et les prisonniers de guerre.

1943

Avril : mise en place d’un tribunal express d’entreprise pour sanctionner les ‹ délits › comme le manque de discipline à l’usine. [Citation de : Circulaire interne de la société du 12 avril 1943, documentation du procès de Röchling à Rastatt, 1948 – 1949.]

Avril : location d’un camp de travail du Reich, construit en 1942 par l’Organisation Todt sur le site de la Reichsbahn.

30 avril : création d’un camp pénitentiaire pour les usines sidérurgiques Völklingen de Röchling afin de discipliner les travailleurs forcés étrangers. Le camp était dirigé par la Gestapo de Sarrebruck.

Juillet : 5.294 travailleurs étrangers dans la Völklinger Hütte, dont 2.114 ouvriers de l’Est et prisonniers de guerre soviétiques, soit 37 pour cent des 15.000 employés.
La direction du camp fut placée sous la protection de l’usine sidérurgique de Röchling. Même des infractions mineures comme une arrivée en retard ou le commerce de cartes de ravitaillement pour du pain pouvaient mener à l’emprisonnement dans le camp de rééducation par le travail.

1944

Décembre : fermeture du camp à la suite de celle de la Völklinger Hütte. Au total, 1.604 personnes y furent internées, dont la moitié étaient des femmes. La proportion de travailleurs forcés d’Europe de l’Est se situait entre 30 et 60 pour cent.
La Völklinger Hütte était la seule usine de Sarre à disposer d’un tribunal express d’entreprise et d’un camp de rééducation par le travail.

1980

Dans les années une zone industrielle fut créée sur le site de l’ancien camp.

1997

La ville de Püttlingen posa une pierre commémorative sur le site de l’ancien ‹ camp de rééducation par le travail ›.