Mémorial du camp de la Gestapo de la Neue Bremm

Le camp de la Neue Bremm exista d’avril 1943 à décembre 1944. Dans leur langage édulcoré, les nazis le qualifiaient de ‹ prison de police › de la Gestapo ; il était situé au château de Sarrebruck. Toutefois, c’était l’un de leurs lieux de terreur, une zone de non-droit où les détenus étaient abandonnés à l’arbitraire de leurs gardiens. La Neue Bremm avait plusieurs fonctions. C’était un camp de transit pour les résistants et les objecteurs de conscience français en route vers les camps de concentration. En outre, la Neue Bremm était aussi un camp de rééducation pour les travailleurs forcés d’Europe de l’Est employés dans l’industrie sarroise, et une prison pour les détenus de la Gestapo à Sarrebruck. Après 1945, le camp fut démoli et la zone fut reconstruite. Le mémorial du camp de la Neue Bremm fut inauguré en 2004.

 

Contact

Mémorial du camp de la Gestapo de la Neue Bremm
Metzer Strasse / Zinzinger Strasse
66117 Saarbrücken
Allemagne

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E-Mail : lpb@lpm.uni-sb.de

Le mémorial est ouvert toute la journée. Des panneaux d’information fournissent des renseignements sur le camp et son histoire. La visite est gratuite.

Visites guidées gratuites, sur réservation auprès de:
Centre d’éducation politique du Land de Sarre
Beethovenstraße 26
66125 Sarrebruck
Allemagne

 

Le camp de la Neue Bremm était situé sur une route de transit, directement à la frontière avec la France. C’est une illustration particulièrement forte de la façon dont la terreur nazie se juxtaposait avec la vie quotidienne. L’horreur régnait dans le camp pendant que non loin de là, les gens vaquaient paisiblement à leurs loisirs. Le camp était situé juste à côté d’un restaurant. Celui-ci fut fermé au grand public après le début de l’exploitation du camp. Toutefois, la vente de bière et de cigarettes au personnel du camp se poursuivit. Le camp était situé sur une route de transit vers la France en direction du cimetière principal de Sarrebruck, non loin de la colline de Spicheren, où la population sarrebruckoise aimait aller se promener. Le témoin contemporain Emil Limbach, originaire de Sarrebruck, rapporte :

On n’avait pas le droit de regarder à l’intérieur du camp ; même depuis le restaurant d’en face, c’était impossible. Il y avait un panneau : « Interdiction de regarder par la fenêtre ». On apercevait de petites baraques. Il y avait un chemin, d’un côté les prisonniers, de l’autre les gardes. Un jour, en route pour Merlebach, nous sommes arrivés par la Metzer Straße, passant devant le camp de concentration de la Neue Bremm. Nous n’eûmes pas le droit de nous arrêter. Il était huit heures du matin, les prisonniers se tenaient là, avec leur bol de nourriture, immobiles, en file indienne, dans le camp. Et quand nous revînmes le soir, ils étaient toujours là. Ce jour-là, la chaleur était insoutenable. Ils avaient dû rester immobiles toute la journée ; ce n’était pas la distribution du repas du soir. Avant, nous allions souvent nous promener, et si quelqu’un s’arrêtait, les gardes qui étaient assis à l’ombre d’un toit disaient : « Continuez à avancer, sinon on tire ! »
[Citation de : Raja Bernard / Dieter Renger : Neue Bremm. Ein KZ in Saarbrücken (La Neue Bremm, un camp de concentration à Sarrebruck), 1999, p. 29]

 

Extension de la prison de la police : le camp de la Gestapo

En sa qualité de camp de la Gestapo à Sarrebruck (voir château de Sarrebruck), l’extension du camp de police de la Neue Bremm appartenait à la catégorie des centres de détention nazis ancrés dans le contexte régional et échappant au contrôle central des autorités du Reich. En raison de son statut de camp de la Gestapo, la Neue Bremm fut intégrée aux institutions régionales et locales de la Sipo sur le plan des hiérarchies de commandement et des structures administratives. Dans ces camps, le contrôle centralisé à l’échelle du Reich et la standardisation étaient remplacés par une administration et une direction décentralisées qui s’adaptaient aux spécificités régionales. (…) Au contraire, les extensions de prisons de police revêtaient diverses fonctions pour les commissariats régionaux auxquels elles étaient subordonnées et pouvaient donc réagir de manière très flexible aux exigences aiguës du travail policier. Cette multifonctionnalité fit d’elles non pas des concurrents du système de camps de concentration de Himmler, mais plutôt un pilier nécessaire et utile de la répression menée par la politique de persécution nazie qui venait compléter celle des camps de concentration. (…) L’extension de la prison de police de la Neue Bremm présentait ainsi aux prisonniers toutes les caractéristiques d’un camp de concentration, et même si elle était relativement petite, on y jouait toute la gamme de la terreur nazie. En outre, la plupart des prisonniers étaient tout particulièrement à la merci des caprices et des brimades des gardiens, notamment en raison de la petite taille de l’établissement et du nombre limité de détenus. Ici, les échappatoires relatives qui amélioraient les chances de survie dans un camp national-socialiste classique n’existaient pas.
[Citation d’Elisabeth Thalhofer : Neue Bremm. Terrorstätte der Gestapo. Ein Erweitertes Polizeigefängnis und seine Täter (Neue Bremm, lieu de terreur de la Gestapo. Une extension de la prison de police et ses criminels), St. Ingbert, 2002, p. 260 – 261]


La désignation de ‹ prison de police ›

Le terme de ‹ prison de police › appartenait au jargon édulcoré des nazis et servait à dissimuler la zone de non-droit que constituait le camp. Le terme de ‹ prison › suggère qu’il s’agit d’un lieu d’exécution de la justice, où la loi et l’ordre s’appliquent et où les détenus les ont enfreints.
Cela s’explique par une lettre de Reinhard Heydrich, chef de la Sipo et du Sicherheitsdienst (SD), au Reichsführer SS et chef de la police allemande, concernant l’appellation de ‹ camp de concentration › et datée du 3 mai 1940 [Bundesarchiv Berlin, NS 19/1919].
« Dans la mesure où certains camps (…) existaient déjà sous la dénomination de ‹ camps de concentration ›, ils ont été rebaptisés ‹ prisons de police › dès 1936 afin de se défendre contre la propagande de haine et d’atrocité. »

 

Les témoins contemporains

Le camp de la Neue Bremm était un important camp de transit pour le transport des prisonniers en provenance de France. Les déportations d’Europe occidentale vers les grands camps de concentration de l’Est et leurs camps annexes passaient par Bruxelles et Sarrebruck. Sarrebruck était une gare de transit pour les déportations vers Dachau, Sachsenhausen, Buchenwald, Mauthausen et Ravensbrück. La situation frontalière de la Neue Bremm a non seulement encouragé les déportations depuis la France, mais le camp de concentration situé directement à la frontière servit également d’instrument d’oppression et de violence pour la Lorraine occupée.
En règle générale, trois grands transports de prisonniers arrivaient à la gare centrale de Sarrebruck en provenance des prisons de la Gestapo de Compiègne, de Fresnes et de Fort de Romainville aux Lilas. La majorité d’entre eux étaient des Français, hommes et femmes, que la Gestapo qualifiait de ‹ prisonniers politiques ›. Ils avaient participé à des grèves, avaient refusé de se présenter au STO ou avaient été actifs dans la résistance ou soupçonnés de l’être.

Edmond Michelet (1899 – 1970)
Edmond Michelet, futur ministre français de la Justice, de l’Armée et de la Culture, fut emprisonné au camp de la Gestapo de la Neue Bremm d’août à septembre 1943 avant d’être déporté au camp de concentration de Dachau. Dans son autobiographie, il relate le ‹ traitement spécial › des Juifs le jour de son arrivée et raconte comment il fut battu par Molotov. Il se souvient de son codétenu Jacques Renouvin, qui lui proposa de réciter des poèmes de mémoire dans les baraquements le soir. Il dut nettoyer les pierres dans la fosse à l’extérieur du camp. Michelet fut co-fondateur du groupe de résistance français Combat et s’engagea dans la Résistance dès 1940. Fin août 1943, après six mois d’isolement à Fresnes, il fut envoyé pour une semaine au camp de la Neue Bremm, puis passa par les prisons de Mannheim, Heidelberg, Stuttgart, Ulm et Ingolstadt avant d’arriver à Dachau, où il resta du 15 septembre 1943 au 27 mai 1945.

Edmond Michelet décrit son séjour au camp de la Neue Bremm :
Celles qui nous attendaient au camp de Neue Bremen, situé dans la proche banlieue de Sarrebrück, où nous fûmes conduits à pied sous bonne escorte dès notre débarquement, n’étaient vraiment pas banales.

Qu’on s’imagine d’abord le cadre : une sorte de quadrilatère de lugubres baraques dressé, suivant un plan cent fois décrit, autour d’un bassin d’eau sur le bord duquel nous fûmes vigoureusement invités à nous aligner dès notre arrivée. Là, un S.S. nous gratifia, pour commencer, d’une petite allocution de circonstance, histoire de nous faire prendre plus clairement conscience de la nouvelle existence qui nous attendait. Il termina par ces mots que l’interprète nous traduisit littéralement :

« Maintenant, vous allez voir comment on traite les sales cochons de juifs, responsables de la guerre, dans la grande Allemagne d’Adolphe Hitler. »

Et il ordonna aux juifs du convoi de sortir des rangs. Il y avait là, outre nos deux petits camarades de « Combat », quatre ou cinq autres malheureux qui, pendant seize heures consécutives – exactement de six heures du matin à dix heures du soir – durent se livrer sans interruption à l’humiliant et pénible exercice disciplinaire dénommé saut du crapaud, qui consiste, comme on sait, à s’élancer en avant, les jambes pliées, les mains croisées derrière la nuque.

Un soleil de plomb tombait sur les crânes que venait de raser le féroce Molotov, légendaire bourreau de ce camp d’enfer. Quand l’un de nos pitoyables compagnons, n’en pouvant plus, s’écroulait inanimé, un S.S. à coup de gummi le remettait d’abord debout. Puis, d’un coup de pied bien ajusté il l’envoyait achever de revenir à lui dans le bassin d’eau autour duquel se déroulaient ces joyeusetés. Après quoi, le patient dûment remis en piste, l’interprète s’adressait à nous autres aryens qui devions assister immobiles, au garde-à-vous, à ce spectacle que la chaleur et la fatigue avaient rendu hallucinant et, d’une voix sucrée : « Ceux, qui les plaignent ont toujours le droit d’aller se joindre à eux. » disait-il.Le chevalier Jacques Renouvin, les dents serrées me souffla : « Je suis déshonoré, mon devoir est de leur emboîter le pas. » « A quoi cela servirait-il ? » répondis-je. « Au train où vont les choses, ça ferait ce soir un cadavre de plus. »
[Citation de : Edmond Michelet, Rue de la Liberté : Dachau 1943 – 1945, Paris, 1955, p. 51 – 53]
[Voir aussi Témoignage d’André K. du 23 mars, Archives de l’occupation française en Allemagne et en Autriche (AOF), Colmar, AJ / 4028, 2A. Citation de : Elisabeth Thalhofer : Neue Bremm. Terrorstätte der Gestapo. Ein Erweitertes Polizeigefängnis und seine Täter (Neue Bremm, lieu de terreur de la Gestapo. Une extension de la prison de police et ses criminels), St. Ingbert, 2002, p. 228]

Yvonne Bermann (1907 – 1947)
Yvonne Bermann, née Lafourcade, a grandi à Dax, dans le sud de la France. Elle épousa le Polonais Theodor Henri Bermann en octobre 1933. Tous deux furent membres de la Résistance et partisans du général de Gaulle, qui s’était enfui à Londres. 1941 : prisonniers de la Gestapo, emprisonnés au château du Hâ. Libérés la même année. 1942 : le couple rejoignit le réseau de résistance BRUTUS. Après l’arrestation d’un membre, le couple s’enfuit à Paris en octobre 1943. Yvonne Bermann rentra seule à Bordeaux, où elle fut immédiatement incarcérée au château du Hâ. De là, fin 1943, elle passa par le fort de Romainville, près de Paris. Le 6 juin 1944, elle fut déportée au camp de la Gestapo de la Neue Bremm. 13 juin : transport au camp de concentration de Ravensbrück. 14 août : arrivée à Leipzig-Schönefeld, un camp annexe du camp de concentration de Buchenwald. 14 avril 1945 : « marche de la mort ». Yvonne Bermann parvint à s’enfuir et survécut cachée jusqu’à l’arrivée des troupes alliées. 15 mai 1945 : libération. 21 mai : retour à Bordeaux. Yvonne Bermann mourut d’un accident vasculaire cérébral à la suite de son emprisonnement le 28 mars 1947.
De retour à Bordeaux en octobre 1943, son mari dirigea le réseau d’espionnage dans le nord de la France et à Paris sous le nom d’Henri Bertin. Arrêté en 1944. Après un séjour à Fresnes, déporté au camp de concentration de Buchenwald, puis au camp annexe de Dernau, nom de code Rebstock, avant d’aller au camp de concentration de Dora-Mittelbau, puis au kommando annexe d’Artern. Henri Bermann mourut lors de la marche de la mort entre le 18 et le 20 avril 1945 près de Marienberg.
[Citation de Horst Bernard : Neue Bremm. Das Lager. Ehemalige Häftlinge des Gestapolagers Neue Bremm erinnern sich (Neue Bremm. Le camp. D’anciens détenus du camp de la Gestapo de la Neue Bremm se souviennent) Sarrebruck, 2014, p. 32 – 37]

 

Chronique


1940 – 1942

construction d’un camp de baraquements pour les prisonniers de guerre français sur l’ancien terrain d’exercice non loin de la colline de Spicheren.

1943

à partir de février, les prisonniers du camp principal de Forbach Stalag XII F s’installèrent dans le camp de la Gestapo, où un étang d’extinction fut également construit en raison du risque d’incendie des baraquements en bois. À partir de juillet, le lieu servit officiellement d’‹ extension de la prison de police ›. Il exista jusqu’en novembre 1944 avec un camp pour hommes auquel fut adjoint un camp pour femmes (le Sonderbarackenlager II) à partir de décembre 1943. La Neue Bremm était un camp de collecte et de transit pour les membres de la Résistance, les Juifs français déportés et les Lorrains qui avaient refusé leur enrôlement dans la Wehrmacht. Ils étaient transportés de Sarrebruck à Dachau, Mauthausen, Auschwitz ou Ravensbrück. Le camp fut également employé pour désengorger la prison surpeuplée de Lerchesflur et servit donc de lieu de détention pour les conseillers municipaux et les secrétaires syndicaux du SPD, du KPD et du centre. La Neue Bremm était un camp pénal et disciplinaire pour les travailleurs forcés et les ‹ ouvriers de l’Est › employés dans l’industrie sarroise. Entre 500 et 800 personnes furent retenues prisonnières dans le camp.

1944

le camp fut fermé en novembre et les prisonniers répartis dans plusieurs endroits, notamment l’école Itzenplitz à Heiligenwald, l’école Hans Schemm de la Pestalozzistraße à Heiligenwald et le camp pour travailleurs forcés russes dans le puits de Mellin à Sulzbach. La population utilisa les baraquements en bois vides comme combustible et matériau de construction.

1945

démolition des casernes restantes

1947

le 11 novembre, inauguration du lieu de souvenir avec une stèle commémorative, qui donne sur la zone de l’ancien camp des hommes

1975

création d’une zone industrielle et construction d’un hôtel sur le site de l’ancien camp de femmes. Dans le foyer de l’hôtel, des panneaux muraux racontent l’histoire du camp.

1977

début des camps de travail du Landesjugendring Saar. Le camp de la Neue Bremm devint une étape dans le cadre des visites guidées de la ville, organisées alternativement par la Vereinigung der Verfolgten des NS-Regimes (VVN, Union des persécutés du régime nazi) et par le Bund der Antifaschisten (BdA, Fédération des anti-fascistes) de la Sarre

1988

création de l’initiative Neue Bremm

2000

concours pour la conception du mémorial. Le jury choisit le projet « Hotel der Erinnerung » (hôtel du souvenir) des architectes berlinois Roland Poppensieker et Nils Ballhausen, avec un panneau photo géant. Ce panneau montre une photo de famille d’une femme avec son bébé et son chien sur laquelle on voit le camp à l’arrière-plan. Ce motif symbolise la juxtaposition entre la paisible vie quotidienne et la terreur dans l’État nazi et témoigne en même temps du manque de courage des civils et de leur facilité à détourner le regard.

2004

ouverture du mémorial du camp de la Gestapo de la Neue Bremm
lien 1: https://www.gestapo-lager-neue-bremm.de
lien 2: https://www.neue-bremm-online.de
lien 3: https://www.saarbruecken.de/kultur/stadtgeschichte/gedenkstaette_gestapo_lager_neue_bremm/